Chrawnique littéraire : Rendez-vous à la Porte dorée

Rendez-vous à la Porte dorée de l’époustouflante Agathe Ruga, aka Lady Gagathe, aux éditions Flammarion, place sur le podium l’autofiction comme analyse d’une maladie contemporaine : que fait-on, lorsque l’on ne veut plus que ce que l’on a perdu ? De cette prémisse simple dont nous faisons de plus en plus les frais, l’auteure explore les tiraillements mâtinés de folie, de mélancolie, d’espoirs déments, d’une jeune mère retombée amoureuse comme au premier jour de l’homme qu’elle quitté pour un autre – d’ailleurs particulièrement toxique et destructeur, comme une emphase de très mauvaise décision prise à la va-vite.
Au-delà de l’intrigue même que je préfère ne pas révéler de trop, l’alter égo littéraire d’Agathe – ici, Anne – en arrive à nous faire se questionner sur la nature même de l’amour passionnel : celui-ci rend-il vraiment heureux ? Le vrai ne naît-il pas de l’amour raisonné ? Vous me direz, il y a nombre de romans qui posent ces questions, mais tout l’art d’Agathe Ruga est là, car son personnage de mère aimante et professionnellement accomplie en devient une enfant face à cet amour rené de ses cendres, au point de l’en dévorer. L’homme de sa vie ne lui parle plus, ne lui répond plus, ne la regarde plus ?
Qu’à cela ne tienne, elle, elle lui parle, parle pour lui, vit et se meurt pour lui. Au point d’en voyager, pas que dans sa tête, parce qu’il y a des paroles qui piègent à vie, des phrases ensorcelantes telle que « on se quittera souvent mais on se retrouvera toujours » : difficile de ne pas s’en raccrocher à tous les fantasmes.
L’écriture d’Agathe Ruga est brute et malicieusement fine, nous ne savons jamais si c’est de l’espoir ou un deuil amoureux, une acceptation ou une hystérie, renforcée par le côté autofiction et écrit des années après, une sorte de journal intime revisité comme pour mieux s’analyser. Ce constant entre-deux en devient particulièrement touchant car humain, nous avons tous vécu cela au moins une – cent – fois.
Désespérément, je partage aussi son goût, ou sa fascination, appelons-la comme nous le voulons, pour l’Obsession ; ce qui la provoque, ce que cela provoque, comment en sortir, et surtout, savoir si nous avons vraiment envie d’en sortir : l’époque ultra-connectée qui est la nôtre invite à toutes les addictions que peut créer notre esprit. Et j’avoue que j’adorerais que l’on se batte pour moi ainsi, que l’on revienne me chercher intensément en me criant « j’ai fait une connerie !!! », rien que pour la forme. Ça fait toujours du bien. La vanité, mon péché capital préféré.
Cela se sent, je me suis énormément amusé à lire ce roman parce qu’il m’a renvoyé à plein de mes comportements ou des observés, et j’ai eu à des moments l’impression d’avoir son auteure à mes côtés, verres de vin dans les mains, à refaire le monde en s’interrogeant sur les nombreuses névroses qui le façonnent, et dont nous sommes les maçons. Avec cette question continuelle, « ne peut-on être véritablement épris que de l’idéal perdu ? Ce que l’on a étant sans saveur, ce qui a été, et pourrait être, n’est-il pas l’idéal absolu ? ». Moi-même je ne sais plus.
Rendez-vous à la Porte dorée, Agathe Ruga, aux éditions Flammarion, 2024
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