Rawportage : Chute du régime d’Assad : fin de la Syrie, chaos régional et effondrement géopolitique global

La chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie marque une rupture historique et stratégique majeure au Moyen-Orient. Cette évolution, qui semblait improbable après plus d’une décennie de guerre civile, révèle des dynamiques complexes impliquant à la fois des facteurs internes et des intérêts géopolitiques globaux. Elle évoque étrangement la « défaite » décrite par Marc Bloch en 1940, où l’effondrement d’une armée face à un adversaire moins puissant résulte davantage d’une démission morale et organisationnelle que de la force militaire adverse.
L’énigme de l’effondrement de l’armée syrienne
L’un des aspects les plus frappants de cette chute est l’effondrement inattendu de l’armée arabe syrienne. L’abandon successif d’Alep, puis de Damas, sans une résistance significative, soulève des questions fondamentales. S’agit-il d’une « démission » de Bachar al-Assad, d’un coup d’État déguisé orchestré par des cadres militaires approchés par des émissaires du Golfe, ou d’une défection motivée par des promesses financières généreuses ? Les faits indiquent que les rebelles, bien que soutenus par des armes américaines et turques, étaient loin d’être supérieurs à une armée syrienne aguerrie par des années de combat. Toutefois, l’effet de surprise d’une offensive hypermobile, associée à des tactiques renouvelées et à l’utilisation de drones ukrainiens, a déstabilisé le dispositif militaire syrien. Cette déroute militaire révèle des failles profondes dans le moral et la cohésion de l’armée syrienne, qui semblent avoir été exacerbées par des pressions politiques et économiques externes.
La Turquie : architecte d’un nouvel ordre régional
La Turquie joue un rôle central dans cette offensive. En soutenant les djihadistes de Hayat Tahrir al-Cham (HTC), dirigé par Abu Mohammad al-Julani, ancien membre d’Al-Nosra et lieutenant de Baghdadi et de DAESH, Ankara poursuit plusieurs objectifs. D’une part, éliminer la menace kurde au nord de la Syrie et affaiblir les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) et le Rojava. D’autre part, réaliser une ambition néo-ottomane en lorgnant sur les villes d’Alep et de Mossoul et leurs riches réserves pétrolières. Cette posture agressive a été facilitée par la passivité relative de la Russie et de l’Iran, qui ont été pris de court par la rapidité des événements. Moscou et Téhéran semblent avoir été contraints d’accepter le départ d’Assad comme une concession nécessaire pour sauvegarder leurs intérêts stratégiques.
Le rôle de l’Iran : réajustements stratégiques contraints
Pour l’Iran, le coût élevé de la guerre en Syrie, combiné à l’érosion de ses capacités économiques et militaires, a poussé Téhéran à réévaluer ses priorités. Avec l’élection de Donald Trump et le durcissement de la politique américaine à l’égard de l’Iran, la République islamique a cherché à se rapprocher des pays du Golfe. En contrepartie d’une diminution de sa présence en Syrie, l’Iran espère lever certaines sanctions économiques et attirer des investissements du Golfe. De même, le fait que l’Iran se soit rapproché du seuil nucléaire, avec des rumeurs d’essais souterrains et le lancement de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM), permet de dire que l’Iran n’aura plus besoin à terme d’entretenir l’arc chiite comme levier d’intimidation contre Israël. La technologie des missiles hypersoniques iraniens et la possibilité d’acquérir l’arme nucléaire renforcent cette dissuasion. En se retirant de Syrie, l’Iran évite le piège de l’enlisement et offre des garanties au camp occidental pour une potentielle normalisation diplomatique et la levée des sanctions économiques.
La Russie : une défaite géopolitique maîtrisée
Pour la Russie, la chute d’Assad constitue une défaite géopolitique. Toutefois, le Kremlin a cherché à sauver les meubles en négociant le maintien de ses bases à Tartous et Hmeimim, tout en assurant un exil « civilisé » à Assad, évitant un sort comparable à Kadhafi ou Saddam Hussein. La Russie garantit également le respect des lieux de culte des minorités chrétiennes et chiites et maintient son statut symbolique de protecteur des chrétiens d’Orient. Consciente de ses limites en Ukraine et du manque de soutien de l’armée syrienne à l’ex-président Assad, la Russie semble envisager un possible redéploiement vers la Libye, l’Égypte ou le Soudan. Cependant, cette évolution nuit à l’image de Moscou comme protecteur fiable de ses alliés, notamment en Afrique, où l’Arabie saoudite de Mohammed ben Salmane (MBS) avait noué des liens resserrés avec la Russie.
Israël : avancées stratégiques et fragmentation régionale
Israël a profité de la chute d’Assad pour avancer stratégiquement. L’annexion du plateau du Golan et la destruction systématique de l’infrastructure militaire syrienne par des frappes aériennes massives visent à détruire l’unité étatique de la Syrie. Ce plan s’inscrit dans une stratégie de fragmentation des États arabes sur des bases confessionnelles et tribales, facilitant la domination stratégique israélienne. Ce projet rejoint les visions eschatologiques de l’extrême droite religieuse sioniste du projet de Grand Israël (du Nil à l’Euphrate). Israël applique ainsi une stratégie de fragmentation des États voisins pour neutraliser toute menace potentielle. Ce démantèlement des structures étatiques vise à maintenir une région arabe désunie, facilitant ainsi sa domination stratégique.
Le projet américain du Grand Moyen-Orient
Les États-Unis, à travers leurs opérations clandestines menées par la CIA, ont ravivé le vieux projet du « Grand Moyen-Orient ». Cette vision géopolitique vise à redessiner la région en divisant les États en entités confessionnelles et ethniques, afin de mieux contrôler leurs ressources et de neutraliser les puissances émergentes. La chute de Bachar al-Assad s’inscrit dans cette logique, permettant de frapper les intérêts des BRICS, notamment de la Russie et de la Chine.
L’Europe : naïveté stratégique et absence de vision
L’Union européenne se félicite de la chute du régime syrien sans mesurer les risques. La libération de milliers de djihadistes européens des prisons syriennes constitue une menace sécuritaire majeure. Ces combattants, de retour en Europe, pourraient perpétrer des attentats ou alimenter de nouvelles radicalisations. Conclusion : La chute du régime de Bachar al-Assad ne signe pas uniquement la fin d’une gouvernance autoritaire en Syrie, elle inaugure une période de chaos régional aux répercussions mondiales. Alors que les acteurs régionaux comme la Turquie, l’Iran et la Russie ajustent leurs stratégies pour préserver ou accroître leurs sphères d’influence, le vide laissé par cet effondrement crée un terrain fertile pour une fragmentation durable du Moyen-Orient.
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