Le capitalisme est mort, mais il continue de parler

RÉALISME CAPITALISTE : L’HORIZON FERMÉ D’UN MONDE OÙ RIEN D’AUTRE N’EST POSSIBLE
C’est une phrase que l’on connaît, que l’on répète souvent sans trop en saisir toute la portée : « Il est plus facile d’imaginer la fin du monde que celle du capitalisme. » Elle résonne dans notre époque saturée, résignée, engluée dans un quotidien qu’on ne parvient plus à remettre en question. C’est autour de ce vertige que s’articule le travail de Mark Fisher dans son ouvrage Le Réalisme Capitaliste, un livre aussi concis que fondamental, où il dissèque avec une rigueur impitoyable cette sensation diffuse d’un monde verrouillé.
Le réalisme capitaliste, selon Fisher, n’est pas un système, mais une atmosphère. Un brouillard idéologique qui rend impossible toute alternative crédible au capitalisme. On ne le célèbre même plus : on l’endure. Le capitalisme ne gagne plus parce qu’il convainc, mais parce qu’il a tué tout imaginaire concurrent. Il n’est plus un choix, mais le seul décor possible.
Fisher ne se contente pas d’un diagnostic abstrait. Il explore, dans une veine qui croise la théorie critique, la pop culture et la sociologie, les ramifications concrètes de cette hégémonie : les chaînes d’assemblage qui broient les corps, les institutions scolaires vidées de leur substance, la colonisation de la sphère psychique par la logique marchande, les nouvelles formes de dépression qui émergent d’un monde sans échappatoire.
À travers le prisme de films comme Children of Men, les refrains de la pop mainstream ou les slogans du New Labour britannique, Fisher dévoile comment le capitalisme s’infiltre partout : non pas comme une idéologie frontale, mais comme une évidence insidieuse. Une machine qui rend toute critique inaudible, et toute sortie illusoire.
Dans une époque où la rébellion est absorbée, digérée, recyclée sous forme de marketing, le capitalisme a appris à simuler la subversion pour mieux asseoir sa domination. Et dans cette mécanique infernale, c’est le temps lui-même qui se dilue. Le passé est réduit à des fragments nostalgiques. Le futur, à une menace climatique ou à un fantasme technologique piloté par les mêmes logiques financières. Ce que Fisher décrit, c’est un présent perpétuel, sans horizon ni brèche.
Et pourtant, son livre ne tombe jamais dans le nihilisme. Il y a, derrière chaque page, une urgence politique. Une invitation à reprendre langue avec notre capacité collective à penser autrement. Fisher appelle à la réactivation de notre imaginaire, à réouvrir le champ des possibles. Mais il le fait sans naïveté : il sait que cette tâche sera longue, rude, et sans garantie.
En creux, l’écho d’une pensée fondamentale : ce qui fait système, peut se défaire. Mais encore faut-il le nommer. Le rendre visible. Le dénoncer avec précision, et non par incantation.
Ce livre m’a donné l’impression qu’on allumait enfin la lumière dans une pièce que je croyais vide. Fisher ne propose pas des réponses toutes faites, mais une manière plus lucide de regarder le monde. Je ne peux que vous encourager à plonger dans ce texte lumineux et troublant.
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