Le droit d’avoir tort

En mars 2025, les Presses universitaires de France ont suspendu la parution de Face à l’obscurantisme woke. Un essai collectif, rédigé par des universitaires reconnus. Aucun passage n’était attaquable juridiquement. Aucune plainte n’avait été déposée. Aucune mise en demeure. Seulement un malaise. Des pressions. Et la phrase – terrible de lucidité – prononcée en interne :
« C’est un livre impossible à faire paraître sereinement aujourd’hui. »

Voilà où nous en sommes.

Ce n’est plus la loi qui censure.
C’est l’atmosphère.
L’air du temps.
Le soupçon diffus.

Et c’est peut-être plus redoutable encore.

Car dans cette ambiance, on ne débat plus. On évite. On anticipe. On se relit à voix basse.
Les éditeurs corrigent ce qui pourrait froisser.
Les enseignants écartent ce qui pourrait troubler.
Les chercheurs réduisent leurs marges.
Les modérés se taisent.

Le doute devient suspect.
La nuance, un luxe.
L’ambiguïté, une prise de risque.

Or le droit d’avoir tort n’est pas un caprice.
C’est un fondement démocratique.
C’est lui qui permet de chercher, d’essayer, de rater, de recommencer.
C’est lui qui empêche les idées de s’assécher.
C’est lui qui fait respirer la pensée vivante.

Et pourtant, il s’efface.

À force de vouloir prévenir toute offense, on organise l’asphyxie.

Il faut pouvoir trébucher sans être disqualifié.
Il faut pouvoir dire « je ne sais pas » sans s’excuser.
Il faut pouvoir revenir sur ses mots sans que ce soit vu comme une faute.

Penser, c’est risquer.
Et risquer, ce n’est pas déraper.

Ce n’est pas l’erreur qui menace la démocratie.
C’est l’impossibilité de l’erreur.
Ce moment où l’on ne peut plus s’avancer sans être sommé de prouver qu’on est du bon côté.
Tout de suite. Sans nuance.

Alors il faut rappeler ceci, tranquillement :

Penser, c’est accepter de douter.
Douter, c’est parfois se tromper.
Et se tromper, c’est encore penser.

Ce n’est pas un danger.
C’est une nécessité.
C’est le droit d’avoir tort.