Raw Afrique : Vous avez dit AES ?

Dans le silence fracassant des médias occidentaux, l’Association des États du Sahel écrit l’Histoire jour après jour depuis sa récente création, le 16 septembre 2023. Elle a résisté aux menaces d’intervention armée, aux sanctions, aux tentatives de « contre-coup d’Etat » ; elle poursuit sa marche vers l’abandon du protectorat de la France et de la CEDEAO, et surtout celui du franc CFA, avec la création d’une nouvelle monnaie commune, le Sahel. Voyons cela d’un peu plus près…
Je prends le pari (hélas impossible à vérifier ; ce ne sera donc qu’un pari théorique) que la majorité de nos lecteurs ne savaient pas, avant de le lire dans mon introduction, ce que signifiaient les lettres AES, voire n’avaient jamais entendu parler de cette association, alors même que son actualité est aussi importante pour les équilibres géopolitiques de la planète que la guerre en Ukraine, par exemple. Mais l’Afrique reste, et c’est un grave manque de vision, de clairvoyance, le parent pauvre des informations données en Occident. De fait (je vous remercie d’avance de me permettre une longue digression avant d’en revenir à l’AES), si on revient en arrière, 4 thèmes ont dominé l’actualité . Le Covid, l’Ukraine, Gaza et l’AES. Les médias mainstream européens nous ont saturé jusqu’à l’écœurement de nouvelles, commentaires et analyses concernant les 3 premiers, et ont bloqué complètement l’accès aux informations concernant l’AES. Pourquoi ? Je vais encore me faire traiter de vilain complotiste, mais il me semble que la réponse coule de source : les trois premiers thèmes permettent un bourrage de crâne épouvantable de pensée unique : le masque, le vaccin, le pass sanitaire, très bien bravo ! L’Occident qui défend le gentil Zelenski contre le méchant Poutine bravo ! Les Israéliens qui ne font que se défendre face aux épouvantables massacres de terroristes palestiniens, quelle action héroïque tandis qu’on nous montre un continent qui étouffe sous les pillages néo-colonialistes et tente de reprendre son destin en main. Le sentiment antifrançais est presque unanime en Afrique et ni le pouvoir ni les médias n’ont envie que le citoyen lambda le sache. L’omertà s’étend en réalité à toute l’Europe et seule l’Italie a violé le tabou avec les déclarations de deux ministres accusant la France.
Tout débat semble avoir disparu des mainstreams. J’en aurais pour des dizaines de pages à énumérer des contre-arguments pertinents qui n’ont jamais été évoqués ; mais me contenterai d’en donner un par thème juste pour montrer à quel point l’opinion occidentale est manipulée et l’info biaisée.
Ainsi, pour les Covid, on a conduit à la faillite, parfois au suicide, les directeurs de cinémas, restaurants, musées, théâtres, en bouclant tout ces lieux publics… mais en laissant ouverts les transports publics, trams et trains bondés dans lesquels s’entassaient des humains masqués et terrorisés. Pour l’Ukraine, on a peu, très peu parlé des arguments russes, pas plus que du viol des promesses de l’OTAN, laquelle ces 20 dernières années, a donné à Vladimir Poutine sa parole d’honneur que ni elle ni l’UE ne s’étendraient jusqu’aux frontières de la Fédération de Russie. Ainsi, lorsque le président ukrainien Zelenski a envisagé des adhésions, le maître du Kremlin s’est senti trahi et menacé… c’est un peu comme si la Chine ou le Venezuela étaient invités par un Mexique théâtre d’une révolution communiste récent et se proposaient d’installer des missiles à la frontière US, pensez-vous que Biden (voir Trump) laisserait faire ? Poser la question c’est y répondre ! Enfin pour Gaza, on peut rappeler que depuis 1967 l’Etat d’Israël est hors-la-loi en s’étant honteusement assis sur 272 résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU.
Bien, j’en reviens à l’AES et à sa création le 16 septembre 2023 en prônant la liberté de citer le résumé de Wikipédia qui me semble parfaitement pertinent : « l’AES a été créée pour aider à contrer d’éventuelles menaces de rébellion armée ou d’agression extérieure, en soulignant que « toute attaque contre la souveraineté et l’intégrité territoriale d’une ou plusieurs parties contractantes sera considérée comme une agression contre les autres parties ». Liptako-Gourma est la francisation de « Liba » qui signifie « terrasser » en peulh et de « Ta-a-ko » dont la signification est « on ne peut pas ». Étymologiquement, Liptako » est “ce qu’on ne peut pas terrasser”. Pour mieux cerner les enjeux, il convient de remonter quelques années plus tôt : c’est en effet en 2003 qu’éclate dans la région du Sahel une insurrection djihadiste, laquelle a conduit entre autres à la guerre du Mali et à la rébellion armée du groupe Boko Maram.
Cette situation a logiquement provoqué un affaiblissement des pouvoirs publics et les coups d’Etat ont été nombreux tant au Burkina Faso qu’au Mali ou au Niger. Les derniers putschs en date ont ceci de particulier qu’ils ont mené au pouvoir des militaires patriotes, souverainistes, panafricanistes, anticolonialistes (à noter que la Guinée se situe sur la même ligne avec le putsch de 2021 du président Mamadi Doumbouya. Mais ce pays ne disposant pas de frontières communes n’as pas rejoint l’AES, avec laquelle elle entretient toutefois de très bons rapports.
Ces militaires au charisme indéniable ont pris le pouvoir au cours des quatre dernière années : le président Assimi Goita en 2021 au Mali, le jeune et brillant capitaine Ibrahim Traoré, fils spirituel de Thomas Sankara, en 2022 enfin, le général Abdourahamane Tiani qui renverse en 2023 au Niger le président francophile et honni par le peuple Mohamed Bazoum.
La réaction de l’Occident, qui a rongé son frein lors des putschs précédents, a enfin eu lieu après le coup du Niger. Des sanctions drastiques ont été mises en place et une intervention militaire a été décidée par la CEDEAO (communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) avec le soutien tacite de la France, qui en coulisses a poussé le va-t-en-guerre Alassane Ouattara, président de la Côte d’Ivoire, à organiser l’intervention. Retour sur les menaces d’intervention ; à Abidjan, il va se passer quelque chose d’inédit en Afrique. Pour la première fois, l’armée se révolte (pacifiquement) et les chefs expliquent à Ouattara que les soldats ne sont pas prêts à aller verser du sang africain pour la France de Macron et son droit à piller l’uranium nigérien. Pourquoi d’ailleurs les réactions au coup d’État au Niger sont-elles sans commune mesure avec celles prises lors des précédents soulèvement en Ukraine, au Mali et en Guinée ? Comme je l’ai évoqué en passant comme le chef des armées l’a dit au président Traoré, la réponse est limpide : la France a besoin de l’uranium nigérien, , elle qui produit plus de 70 % de son électricité via des centrales nucléaires. Les prix dérisoires que l’Hexagone imposait lui permettaient de faire tourner ses centrales à très faible coût. Le retour de l’uranium au prix du marché, soit trente fois plus cher, lui était donc insupportable. C’est pour cela qu’elle a tout tenté, en vain, pour chasser les militaires et réinstaller l’ami Bazoum. Toujours dans le silence complice des médias occidentaux, la France a instrumentalisé la CEDEAO, puis soutenu (organisé?) deux tentatives de coup d’Etat au Burkina Faso, que l’immense soutien dont jouit le plus jeune président du monde a fait à chaque fois avorter, les Burkinabés descendant par millions dans les rues pour empêcher tout mouvement de troupes.
Ouattara perd la face. Tinubu président du Nigéria et de la CEDEAO aussi, lui qui les premiers jours poussait à l’intervention avant d’adopter la posture inverse et exiger la levée immédiate des sanctions. Idem pour son homologue béninois Patrice Talon. Il faut dire que les sanctions censées étouffer le Niger viennent surtout frapper de plein fouet le commerce de ses pays voisins, Bénin et Côte d’Ivoire, et que la population de ces deux Etats commence à gronder
Le 19 février, la levée des sanctions est effectivement décidée. L’AES a gagné. La CEDEAO en sort affaiblie et assaillie de toutes parts sur son statut et sa mission.
Forte de ses victoires, l’AES compte d’ailleurs aller jusqu’au bout de ses intentions panafricanistes avec comme mesures phares le retrait de cette institution et la création d’une monnaie commune au trois pays : le Sahel. Pour la Françafrique, voilà qui ressemble un peu au début de la fin.
J’écris ce texte le 20 février 2024. Le résumé sommaire au niveau des dates est un choix assumé : tous les jours, une nouvelle info tombe sur les chaînes et réseaux africains, qui (eux) ne parlent plus que de cela tandis qu’on l’ignore superbement en Europe. C’est que la situation est appelée à évoluer, d’autres pays n’allant sans doute pas tarder à s’engouffrer dans la brèche créée par l’action des trois pays membres de l’AES ainsi que par la Guinée. Il est à noter que de nombreux pays sont restés neutres pendant ces six mois de bras-de-fer. A part les sulfureux Macky Sall (Sénégal) Ouattara (Côte-d’Ivoire) et Talon (Bénin) mais ce dernier avant de faire volte-face aucun autre chef des 14 pays d’Afrique de l’Ouest francophone ni du Nigéria dont le président Tinubu n’a pu soutenir l’envoi de troupes.
Ainsi, il faudrait parler de la milice Wagner, bien moins présente que l’on voudrait nous le faire croire en Occident, car elle représente l’excuse idéale (avec la lutte anti-terroriste utilisée par la France pour installer ses bases en toute « bonne mauvaise foi ».
Quant au rapport occidental avec Boko Haram, comme ailleurs avec le M23, comment se fait-il qu’en quelques mois, Tiani ait réussi à reprendre Kidal aux terroristes, alors que les Français n’avaient pas réussi à le faire depuis douze ans. Enfin, et là je connais déjà le thème central d’un prochain article, où il nous faudra interroger le concept de démocratie.
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